mercredi 18 avril 2012

rendez-vous avec Irene


La rue du village est bordée de cahutes de planches au toit de tôles, collées les unes aux autres. Nous allons chez Irene. Nous toquons à la porte… « Karibu ! »Nous entrons. Irene nous accueille avec un large sourire, et toujours cette dignité qui émane de sa personne. Bien que ses jambes ne « marchent pas » et son dos sinueux, dans la façon qu’elle a de me tendre la main, je sens tellement de présence et de délicatesse, et son regard… droit et sûr.

Ses parents n’ont pas su l’accueillir enfant avec son handicap et je comprends qu’elle a beaucoup souffert même si elle en parle avec discrétion et miséricorde. Une âme généreuse lui a sauvé la vie en la sortant de l’isolement dans lequel elle était maintenu en lui donnant la possibilité de rejoindre les autres enfants à l’école qui, en revanche, lui ont témoigné tellement d’amour. Après avoir terminé des études de secrétariat, elle n’a pas trouvé de travail. Elle a vendu quelques temps du charbon de bois sur le bord de la route à Molo, la petite ville du coin, mais ce n’étais pas suffisant pour pouvoir payer un loyer en ville. Ca fait quatre mois maintenant qu’elle est venue s’installer à Mau Summit, et c’est tout juste si elle peut entrer avec son fauteuil par la porte de la cabane qui lui sert d’habitation. 10 m2 tout au plus pour elle et Flavian, son tout jeune bébé d’un mois. Le mari est parti lorsque l’enfant s’est annonce. Elle ne blâme pas, pas d’amertume en elle mais la reconnaissance et la joie pour ce don de Dieu, ce don de Vie !

Chaque jour me semble être pour elle à la fois un défi et un miracle. Autour d’elle, des enfants sont là qui l’aident, par amour. Cet amour qui rayonne de sa personne et qui, j’imagine, la porte dans sa vie, elle et ceux et celles qui osent approcher cette femme si différente, cette femme qu’on pourrait croire, sans la connaître, marquée du sceau du malheur.

Une jeune fille vient souvent prendre soin de Flavian. Cette jeune fille, d’une douzaine d’années peut-être, je ne connais pas son nom. Elle parle à peine et son regard est comme perdu, de même que son sourire. C’est vrai que les enfants ici sont très avenants, communicatifs, expriment facilement la joie, même si pour nous, selon nôtre standard de vie, il leur manque tout. C’est vrai aussi, et ils ne sont pas si rares, ceux qui me semblent brisés, ternis dans leur être, accablés par le malheur. Ce malheur, c’est notamment les clashs inter-tribaux qui ressurgissent à chaque période électorale : du bétail volé, des maisons brûlées, des personnes blessées voire tuées et d’autres qui s’enfuient en laissant tout, les familles qui s’éparpillent, et l’incompréhension…l’ami, le voisin, l’ancien camarade de classe qui soudain devient « l’ennemis ».Ce malheur c’est le SIDA. Une femme, Frida, mère de cinq enfants en bas âges, abandonnée par son mari, est morte cette semaine. Le malheur c’est cette croyance que la vie est une lutte où le choix de la réussite pour les plus forts l’emporte sur la compassion, la fraternité et le partage. Ce malheur ce sont les chiens laissés nuit et jour à la chaine qui n’ont où s’abriter sous la pluie battante et qui chaque soirs jappent en espérant quelques miettes tombées de la table du maître.

Qui est-il ce maître dont nous avons peur ? Qui est-il ce maître auquel nous obéissons sans trop poser de question, en nous fondant dans le confort d’être comme tout le monde, de ne pas « faire de vagues » au risque d’être montré du doigt ou inquiétés ?

Au milieu de tout ce malheur, Irene chante. Non pas pour oublier, non pas pour s’occuper, mais parce qu’elle a trouvé, malgré tout, ou, paradoxalement, grâce à tout, ce lieu secret au fond d’elle-même, cette demeure de grâce, où elle se sait aimée.



Nous sommes maintenant à l'université de Kabarak près de Nakuru ou
va se tenir à partir de mardi et pour une semaine la conférence
mondiale des Quakers durant laquelle nous allons servir de
traducteurs. Nous avons passé un mois chez une famille dans la campagne
dans la Vallée du rift. Ca nous a donné l'opportunité de découvrir la
vie rurale ici, dans une vallée fertile, mais où il y a cependant des
tensions inter-ethniques qui se cristallisent en actes de violence à
chaque période d'élections. Nombre de familles ont perdu leurs
animaux, leur maison, leur terre, ou des proches, et vivent au jour le
jour dans des conditions très précaires. Certains certaines s'engagent
pour la paix dans un processus de réconciliation avec le soutien
d'aides extérieures, principalement internationale avec une forte
présence américaine. J'espère qu'ils pourront peu à peu trouver la
ressource en eux-mêmes et leur autonomie. Tout le monde ici, à la
campagne, cultive la terre, ne serais-ce qu'un bout de jardin, même
ceux qui ont un emploi ou des revenus par ailleurs. Après la période
de sec de ses mois derniers, tout le monde s'affaire maintenant dans
les champs avec le retour de la pluie. Le travail se fait à la main
avec la houe et sème le maïs, souvent en association avec les
haricots. Le maïs, qui est ensuite récolte, sèche, stocke est la base
de l'alimentation ici avec les femmes qui chaque soir préparent
l'ougali, une sorte de polenta très ferme, dans un grand chaudron sur
le feu de bois pour toute la famille.
Il y a beaucoup d'enfants pour qui c'est la première fois de voir des
occidentaux. Ils sont souvent partages entre l'excitation, le désir de
nous découvrir, et la peur de l'inconnu. Alors souvent ils nous
appellent "muzungu! muzungu!" ("européen!) puis à notre approche
s'enfuient par les chemins en riant. Pour certains, c'est une aventure
que de nous serrer la main.