jeudi 8 décembre 2011

Scolarisation

   Lors de notre sejour a Auroville j'ai trouve un livre qui parlait de "desapprendre". J'ai lu un peu de ce livre, en travers, sans vraiment m'y interesser. Aujourd'hui je suis dans une ecole, une ecole toute neuve. Je suis immerge dans la scolarisation, l'enseignement.
Oh je suis un peu comme obelix, tombe tout petit dans le chaudron, avec mes deux parents a l'Education Nationale, mon pere prof d'education physique et ma mere au secretariat du college de la petite ville de la banlieu parisienne ou nous habitions. J'ai baigne dans cette ambiance ou l'ecole est le chemin tout trace de la realisation personnelle et de la reussite sociale. Je n'etais pas un eleve particulierement brillant, ni meme un "bon eleve", bonnant malant je me suis conforme, je me suis coule, fondu dans le cours de la normalite. Pourtant un jour j'ai dit a mes parents "je veux etre berger". J'ai toujours eu le gout d'etre dehors, dans la nature et a l'idee de travailler plus tard tout ce qui me venait s'etait la possibilite d'etre dehors. J'ai recu ce conseil paternel: "passe d'abord ton bac et tu pourras toujours choisir ensuite". J'ai continue... avec l'idee d'etre ingenieur des Eaux et Forets. Voila un metier formidable: avec "ingenieur" j'ai la reussite sociale et la 'valorisation' de mes capacites, (la preuve que je ne suis pas un imbecile (selon ces criteres) donc digne de reconnaissance; avec "Eaux et Forets" j'ai la nature. Je ne savais pas alors que les ingenieurs, meme des Eaux et forets, travaillent essentiellement dans un bureau. Ceci dit je me suis vite rendu compte que pour reussir le concours, jallais devoir aller de la classe a mon bureau en passant par le metro, sacrifier deux, meme plutot trois ans de ma vie en classe prepa, a ne faire qu'etudier, ingurgiter une quantite phenomenale de savoir. J'etais loin d'etre assez travailleur et motive, d'autant plus que je decouvrais alors les sports de pleine nature, le canoe-kayak, l'escalade, le velo tout terrain... Je me suis dit:"si aujourd'hui je sacrifie ma vie, ce que j'aime, dans le but de "reussir", qui me dit que demain je ne vais pas continuer. Certes on peut penser: "mais deux annees ce n'est rien, c'est toute ta vie ensuite que tu pourra en beneficier!" Si je peux passer trois ans dans la boite, je suis bon pour la suite, j'aurais peut-etre pas le concours des Eaux et Forets, mais probablement acces a une autre ecole plus abordable, puis avec le diplome en poche probablement je trouverais un emploi, plutot bien paye, dans une boite d'agro-alimentaire ou de biotechnologie pour fabriquer un nouveau produit de desherbage ultra performant. J'aurais alors reussi a faire mon trou, plutot bien loti, avec acces a tout un tas de petites recompenses: maison individuelle (eventuellement avec piscine) dans un environnement pas trop degrade, 4x4, mariage au chateau avec traiteurs, toutes sortes de gadget de la technologie moderne, de habits de marque, une nourriture saine, la possibilite d'aller au restaurant, au theatre, de faire de beaux voyages... et de donner a mes enfants tous les moyens de reussir...
J'ai arrete... a la grande deception de mes parents.
J'ai vaguement essaye de poursuivre a la fac en sciences de la vie mais je n'ais pas trouve la vie que j'aime. Je me suis tourne vers l'animation sportive mais j'ai vite fait l'experience que je n'avais pas de sens dans ma vie et que je ne savais pas etre heureux. J'avais rompu le contrat social et il ne me restait plus que mon bon sens pour trouver ma voie. mais durant toutes ces annees d'ecole, de college, de lycee, de classe prepa, il n'a jamais ete question du sens de ma vie? Apres toutes ces annees a apprendre tout sur tout le monde, je ne sais pas qui je suis! Je ne parle pas de recevoir une education religieuse ou de quelque autre systeme de valeurs qui me serait impose du dehors qui m'aurait manque, mais de cet espace pour decouvrir la vie en moi, reconnaitre ce que je sens, ressens, ce qui me parle au fond de moi-meme. Je fait alors la douloureuse experience de mon vide interieur, de la vie qui n'a pas grandie, qui n'a pas fleurie, qui n'a pas murie en moi. Et je suis comme un etre mort, malheureux.
C'est en Afrique, a Zanzibar, que j'ai retrouve le fil de mon enfance et le bonheur d'etre vivant . C'est au village, entre mer et brousse, sans electricite, sans voiture, sans eau courante, avec ses chemins de sable et ses huttes de chaume, avec les villageois au coeur simple et les enfants rieurs que j'ai retrouve l'enfant que j'avais perdu. Je me suis reveille a la splendeur de la nature, J'ai eprouve pour la premiere fois cette experience de me sentir vivant, de me sentir etre, present, goutant cette grande vie merveilleuse ou la mer, dansante de couleurs, epoustouflante de beaute, est aussi ma mere et je les remercie toutes deux, jai retrouve mon innocence et un sens de fraternite humaine, s'ai senti au fond de moi le desir, l'evidence d'une vie simple et fraternelle. C'est a l'ecole de la vie que j'ai senti cet appel a vivre ce que je porte dans mon coeur.
Cependant, j'ai senti que j'avais besoin de temps. J'ai pense que j'avais besoin de me preparer pour commencer cette nouvelle vie, mettre de l'argent de cote et chercher un endroit ou m'installer, acheter, un terrain, acheter des animaux, acheter des outils... tout ce que j'aurais besoin pour entreprendre cette nouvelle vie. J'ai aussi senti combien il etait vital pour moi de ne pas oublier. Je me souviens d'ecrire dans mon cahier de notes: "ne perds pas ton soleil !" Quoi de plus terrible que de revenir en France et reprendre la routine, oublier cette flamme de vie au dedans de moi. Aussi j'ai promis... a la Vie, a Dieu, sans d'ailleurs la/le nommer, ni meme la/le concevoir, mais en moi-meme. Je devais retourner en France pour le service nationnal mais j'ai promis, j'ai promis de commencer un jour, et pour de bon, une nouvelle vie, simple fraternelle, selon ce qui me tient profondemment a coeur. Aussi, cette promesse je l'ai recue gravee dans ma chair en me faisant circoncire, sans connaitre l'islam autrement que dans l'experience de la vie quotidienne partagee, j'ai senti qu'elle me donnerait des reperes pour avancer sur mon propre chemin.

Une fois revenu en France, apres m'etre fait reforme au bout de 9 mois de service nationnal en tant qu'objecteur de conscience au Ministere de l'environnement (toujours cette idee tenace d'allier une sorte de prestige et la Nature), j'ai repris les etudes, mais pour le plaisir cette fois. J'avais reussi le concours de facteur, j'ai pense que j'aurais du temps l'apres-midi et je me suis inscrit aux Langues'O pour des etudes de langue et civilisation swahilie. C'est ainsi que j'ai digere, muri ce que j'avais recu en Afrique. Ces etudes ont aussi ete pour moi un temps ou satisfaire ma recherche intellectuelle. J'ai cherche des reponses a mes questionnements: des religions? des textes sacres? Des interpretations? Et qu'en est-il de Jesus que le Coran mentionne comme "le Messie"? Ceci tout en decouvrant la priere, une communaute de foi, le jeune et le partage, le pelerinage a la Mecque, ceci tout en re-orientant ma vie: retrouver le lien avec mes parents, apprendre a reconnaitre, choisir, preserver la vie dans les petits riens du quotidien.
J'ai bien failli reprendre les orinieres passees en revant de devenir chercheur, universitaire, encore "reussir", "etre reconnu", mais ma promesse, mon desir de m'engager en prenant directement part a la vie m'ont preserve de devenir un "notable observateur du vivant". Ma soif d'absolu m'a aussi conduit a m'interresser au soufisme et au temoignage de Jesus. Et au bout des pages, au bout des livres, j'ai senti qu'il etait tant pour moi de laisser la recherche intellectuelle, de laisser la vie etudiante et la ville, de meme laisser mon attachement a mon projet, et de redistribuer l'argent mis de cote, pour enfin plonger dans cette nouvelle vie avec pour seule assurance celle de faire pleinement confiance a la Vie.
Cette vie toute fraiche a commencee dans la nature sauvage des gorges du Tarn, sur les chemins escarpees et les beaumes etoilees. Peu a peu, sans le savoir, sortir de mes habitudes, de mes dependances insoupconnees de la vie moderne, et retrouver la splendeur de la nature, depasser la peur de la nuit, depasser la peur du sauvage, passer de la maison a la grotte, du robinet a la source, regarder les flammes du feu danser dans la nuit vaste et douce...
J'ai vecu alors Noel pour la premiere fois, pas de cadeau, pas de repas, un Noel ou, musulman disciple de Jesus le juif, je fait voeux de me vouer au divin avec pour congregation l'Univers.
Et la Vie, sans que je le sache, sans que je le cherche, m'a conduiut a l'Arche, cette ecole de la vie par la vie ou j'ai decouvert le jardinage, le bucheronage, la ferme, la fromagerie, la menuiserie... et la vie en communaute, la rencontre, le partage, la danse, la fete et le travail sur soi, une forme de vie simple ensemble et l'engagement par la non-violence, force de vie de verite et d'amour.

L'ecole qui nous accueille est une ecole de campagne. Elle est a la sortie de la petite bourgade de Banpur (Odisha) entouree de champs de riz, avec une multitude de petits villages discemines aux alentours. C'est une ecole differentes des autres du voisinage car elle a pour ambition d'inculquer aux enfants une education gandhienne. Ainsi, les quelques 75 enfants de 3 a 6 ans (4 classes) n'apprennent pas seulement a lire et a ecrire, compter, mais aussi decouvrent le yoga, la priere, la musique, la danse, le dessin, la couture... Il y a aussi ici une volonte de garder le lien avec les traditions et la culture locale aussi l'ecole fait appel a des villageois afin de transmettre leur savoir en formant les enseignantes (par exemple la culture des champignons dans les champs de riz). L'idee c'est qu'a l'avenir, cette ecole qui n'a que deux ans d'age, soit en mesure de dispenser aux eleves un enseignement pratique (culture de vermicompost, couture, horlogerie, reparation de cycles, menuiserie, etc...) qui permette aux jeunes, apres 10 annees de scolarite, de generer leur propre activite, leur propre emploi, et puissent rester au village. La volonte est aussi de developper un lien d'amour entre tous. L'equipe enseignante cherche a connaitre les enfants et les familles, a comprendre et a accompagner les familles qui, parait-il, sont souvent en proie a de grosse difficultes (absence du pere parti a l'etranger, alcoolisme, violence, misere...). Aussi nous pouvons sentir l'engagement et la motivation du noyau de l'equipe.
Alors nous habitons dans cette ecole. Nous disposons d'une piece avec au bout d'un des deux batiments qui se font face avec au milieu une cour (qui n'est pas vraiment une cour de recreation car il n'y a pas de recreation ici) le tout bien carre et bien cimente. A 7h du matin les enfants arrivent en uniforme style britanique avec cravate, apparament plutot content. Ils se mettent en file indienne, suivant quatre rangs correspondants aux quatre niveaux. La distance que les eleves doivent maintenir entre eux sur une meme ligne est donnee par la longueur du bras tendu en avant le temps de la mesure. Le silence est de rigueur et les grondements de voix et les gestes parfois ferme des enseignants, voire l'usage de la baguette, sont la pour contenir toute velleite de sortir du rang. Apres un petit exercice de "garde a vous" simplifie, il y a la recitation les yeux fermes de quelques prieres, le serment fait a la nation indienne, puis quelques slogans entonnes spontanement par des enfants sont repris par le groupe. Viennent ensuite quelques breves piochees dans le journal du jour et enfin, le tout se termine par une histoire mettant en valeur les qualites morale, laquelle histoire est ponctuee d'un "ca vous a plu!?" qui recoit un "oui!" massif.
Ca c'est le debut de la journee, ensuite les enfants rejoignent leur classe, a la queue-leu-leu et en silence! Et en meme temps la voix des enseignantes, Namita, Oppona, Progyein, Jochna, Rojalin, Samitri, Sunita et du directeur Manooj est emprunte de douceur et de bon coeur. On m'avait bien dit que l'Inde est un pays riche de contrastes!
Nous sommes ici accueillis les bras ouverts avec beaucoup de soins: on mous montre, on nous explique, on nous demande nos impressions, on nous invite a participer, nous avons carte blanche pour proposer de nouvelles experiences, nous sommes d'emblee inclus sans reserve et avec beaucoup d'enthousiasme dans la vie de l'ecole.
Aussi, un jour, suivant notre proposition, nous convenons de nous reunir le lendemain en apportant trois choses a partager: ce que j'aime dans cette ecole, ce qui est pour moi un defi, et ce que j'aimerais approfondir ou developper. Le lendemain nous nous reunissons apres la classe a 11h, tout le monde est la mais Manooj nous dit que les enseignantes (qui parlent peu anglais, sauf une) sont fatigues, qu'elles ont faim, et qu'on a besoin de plus de temps alors la reunion est remise au dimanche matin. Je suis un peu decu et en meme temps je devine que ce genre de question, qui a moi me paraissent simples, ne sont peut-etre pas si evidente. J'ai l'impression, ici peut etre encore moins qu'en France, que ce n'est pas habituel d'exprimer ouvertement ce que l'on pense et a fortiori ce que l'on sent en soi, au risque de contredire, froisser, heurter l'autre, surtout s'il est percu comme en position de superiorite. Le dimanche, nous mettons de cote les pupitres qui formaient une demarcation destinee a honorer le directeur et les "invites" et nous nous asseyons en cercle avec une noix de coco comme baton de parole (le sol est dur. Je n'ai pas encore vu de fakir sur une planche a clou mais ici tout le monde semble a l'aise assis en tailleur a meme le sol, eventuellement avec un pied ou l'autre sur une cuisse) . Au debut la parole n'est pas tres fluide et seulement le "positif" est evoque, apres que kate et moi avons partage, notament sur ce qui nous travaille, le partage s'anime et quelques questions surgissent et en particulier: "Comment faire face aux comportements difficiles des eleves? avec sous ententdu dans le contexte "autrement que par la contrainte". C'est une question qui me semble essentielle qui entend suivre le chemin de Gandhi, pour qui la non-violence, autrement dit l'amour, est la voie de la vie, question tout aussi essentielle dans une ecole chretienne, ou encore republicaine qui chercherait a vivre les valeurs de liberte, egalite et fraternite. Quelques jours apres cette reunion Manooj nous demande: "alors quand est-ce que vous nous donnez la reponse aux questions?" Avec Kate nous croyons que la reponse est la en chacun de nous, qu'elle est a sentir, reconnaitre, epanouir. Alors nous aimerions bien proposer un autre partage autour de cette question, mais en meme temps j'ai l'impression que notre facon de proceder, sans recevoir visiblement d'opposition, n'est pas confortable et peut etre pas desiree par tous. En fait nous ne savons pas vraiment et c'est assez inconfortable pour moi de vivre ce que je trouve flou, de mou, glissant, comme assez peu d'importance etait donne a la veracite de ce qui est dit. C'est peut-etre aussi cette disposition qui permet aux indiens en general de prendre de la distance par rapport aux regles. Peut-etre y a-t-il quelque chose pour moi a decouvrir la dedans? Toutefois cela n'est pas un empechement a ce que je prenne part a la vie de l'ecole, d'abord en observateur puis en proposant quelques temps d'activite avec les enfants. Mon desir est de vivre un temps de jeu avec eux, un temps ou mon enthousiasme et celui des enfants se melent, un temps ou il n'y a ni baguette ni grondement, un temps de joie ou les enfants peuvent laisser venir a la surface leur spontaneite et leurs eclats de rires. Alors nous courrons, nous sautons, d'un bout a l'autre de la classe qui devient terrain de jeu, a pied join, a cloche pied, en immitant des animaux... jaimerais bien aussi 'comme on veut' mais ils sont tellement peu habitue a ca, tellement habitues a reproduire et immiter, les enfants comme les enseignants, que c'est pas encore pour tout de suite. Nous laissons les chaussures noire a lacet et nous allons dehors pieds nuds sur la terre danser, respirer, et la joie est la. Ca me fait du bien de voir des enfants qui bougent, qui rient, qui se rejouissent de sentir la vie en eux, ensemble, et les enseignantes aussi qui se rejouissent. Kate me dit ce matin: "ils ont decide d'abandonner la baguette". Ce midi la reunion preparatoire a la renvontre avec les parents s'est faite en cercle sans pupitre. Mais ils ont reapparu lors de la reunion avec les parents. On nous a demande de nous assoir deriere, nous avons refuser, ils ont insiste, nous avons refuse, ils ont insiste: nous avons accepte un peu a contre coeur, mitiges entre notre sens de rester fidele a ce que nous sentons et ne pas heurter nos hotes. Les parents ont recu un flot de recommandations et il n'y a pas eu d'espace pour les ecouter, pour se sentir ensemble. Est-ce que la demarquation entre adultes et enfants va etre abolie? Estce que nous allons sortir de rapports de domination les uns sur les autres?
A l'occasion de notre sejour ici me vient cette question: qu'est-ce que l'education? S'agit-il d'apprendre a gagner sa vie et survivre tant bien que mal dans un monde en lutte pour ne pas mourrir ou reconnaitre que la vie nous est donnee, la decouvrir en nous et tout autour, s'emerveiller, remercier, vivre, me donner et etre un avec elle?
                                                                                               sebastien



Kate: Je suis en train d'ecrire un long texte sur le blog en anglais. bise a tous.